Et l’apprentissage scolaire alors !?

Classé dans : Philosophie | 0
Nous avons trouvé l’article de la Hudson Valley School ici  écrit par Matthew Gioia clair et pertinent. Il revient sur les apprentissages scolaires et nous avons souhaité vous le partager. Merci de nous avoir autorisé à publier cette traduction !

“ L’ensemble de la théorie de leur soi-disant éducation était qu’il était nécessaire de remplir un enfant d’un peu de connaissance, même si pour ça il fallait le torturer et raconter des âneries – ce qui est bien connu est inutile, sinon il serait en manque de connaissance toute sa vie. “

William Morris, News from Nowhere, 1890

En effet, qu’en est-il !? L’apprentissage scolaire représente peut-être 5% de l’activité totale de nos élèves ; Horace Mann en ferait une crise de nerf mais… il est mort ! De mon point de vue, la raison pour laquelle l’apprentissage scolaire joue un rôle si secondaire dans notre fonctionnement est triple :

1. Les enfants apprennent les “bases” sans instruction scolaire

Apprendre à lire de manière abstraite sans motivation intrinsèque est difficile ; Dans un environnement scolaire traditionnel, cela prend plusieurs années pour la plupart des élèves. A vrai dire, l’apprentissage en profondeur et substantiel de quoi que ce soit, dépourvu d’une telle motivation est, peut-être, impossible. Mais les enfants sont motivés pour s’amuser, entrer en relation et explorer, et s’engager sérieusement dans une activité, quelle qu’elle soit, demande, à un certain moment, d’être capable de lire et écrire, donc nos élèves apprennent à lire directement à partir des supports dont ils cherchent à tirer des informations. Certains apprennent parce que ce sont des fanatiques de Minecraft (ndlr : jeux vidéo en ligne) et ont besoin de communiquer avec d’autres joueurs et comprendre les instructions. Certains parce qu’ils veulent écrire des textes à leur famille et leurs amis sur leur smartphone. D’autres parce que lire est une porte d’entrée sur les histoires ainsi qu’à une quantité énorme d’information, et c’est ça qu’ils veulent. Quel que soit le moyen, les enfants sont capables d’apprendre les bases de la lecture et de l’écriture si les adultes mettent à leur disposition un environnement riche en textes, les laissent tranquilles, répondent à leurs questions et si nécessaire apportent une aide simple et efficace.

Nos élèves apprennent les bases des mathématiques car… et bien, parce qu’ils n’ont pas le choix, pour arriver à leurs fins, tout comme pour la lecture. Et ils sont aussi très exposés au calcul. Si vous prenez le temps d’y penser, chaque journée a son plein d’évaluation et de transaction numérique donc la capacité de faire un calcul simple est crucial. Notre petit magasin à l’école, qui est très populaire, est un exemple de l’utilisation explicite et pratique des maths. Beaucoup d’élèves aiment bien être caissier mais pour cela ils doivent être capables de rendre la monnaie et faire les comptes. L’apprentissage plus formel des bases de calcul commence souvent là. La pâtisserie est un autre exemple toujours en vogue à l’école : essayez de suivre les instructions d’une recette de cuisine sans connaissances de bases en calcul et tout ce que vous arriverez à faire, sera une galette sèche – si vous avez de la chance ! (nous en avons de pleines étagères à la cave… si vous avez faim). Quand nos élèves choisissent d’aller plus loin que les calculs simples de la vie de tous les jours, ça ne leur pose pas de problème, comme le démontre le cas des cinq jeunes adolescents qui ont commencé à faire des mathématiques de manière scolaire pour la première fois l’année dernière et ont eu de très bonnes notes à leur examen du secondaire* au printemps.

Clairement, les “bases” traditionnelles ne méritent pas du tout d’être incluses dans la catégorie “scolaire”. Au contraire, ce sont des pré-requis pour les études académiques et en tant que tel, elles appartiennent à la catégorie “compétences de bases”, telles que mâcher, marcher et parler.

2. L’instruction scolaire est inappropriée pour les enfants

Quuuuuuuuuoi ?! Il est timbré, cinglé, frappé, fou, c’est un idiot, un néophyte, un chryptootyte, un shananaginagain (désolé, en ce moment je lit du Roald Dahl** à ma fille) ! Ok, ok, je ne le pense pas totalement. Mais, l’instruction scolaire n’est très certainement pas centrale au développement sain des enfants. Voilà comment ça se passe pour la majorité de nos élèves : Les “petits” jouent toute la journée, tous les jours ce qui, du point de vue de l’école, est exactement ce qu’ils sont censés faire. Peter Gray, psychologue de l’Université de Boston et expert des psychologies évolutionnistes, en offre une explication simple et précise dans son livre “Libre pour apprendre”.

“Dans le jeu libre, les enfants apprennent à prendre leurs propres décisions, résoudre leurs problèmes, créer et maintenir les règles, s’entendre avec les autres en tant qu’égal plutôt que comme des sujets dociles ou rebelles. Dans les jeux d’extérieurs, les enfants s’auto-régulent avec ce qu’il faut de peur alors qu’ils se balancent, glissent ou tournent sur les installations… et ainsi apprennent comment contrôler non seulement leur corps mais aussi leurs peurs. Dans les jeux d’interactions sociales les enfants apprennent à négocier avec les autres, comment leur faire plaisir et comment gérer et surmonter la colère qui peut découler de conflits.”

Les enfants apprennent sans arrêt des choses importantes dans ce qui paraît être des jeux et interactions futiles. En fait, c’est de cette manière que l’éducation a fonctionné pendant des centaines de milliers d’années ; Çà nous correspond, sur le plan biologique et psychologique. Nous n’avons pas besoin d’adultes pour nous forcer à apprendre au bâton et à la carotte, de même que nous n’avons pas besoin d’un environnement académique pour cultiver notre intelligence. C’est ce que nous faisons, sans nécessairement “essayer” ou être conscients du processus, tout au long de l’enfance et, avec un peu de chance, de l’âge adulte.

Ensuite, à l’âge traditionnel du collège la plupart des élèves consacrent leur temps à une socialisation intensive, se forgeant une identité sociale et participant aux tâches communes. Quand ils arrivent à ce qui correspond aux années lycée, alors, forts de toutes ces années de jeux et de socialisation, ils ont tendance à développer un réel intérêt pour le monde extérieur, au delà d’eux même et de leur groupe de pairs. C’est à ce moment-là que la plupart d’entre eux suivent des cours plus rigoureux et académiques, qu’ils prennent en considération et qu’ils se préparent pour ce qui va arriver après la fin de leur scolarité ici.

L’école a réellement de l’estime pour les compétences académiques, mais pas plus que pour toutes les autres qualités nécessaires pour être une personne compétente. C’est pourquoi notre programme a pour but de favoriser un état – qui est l’indépendance – plutôt que n’importe quelle palette de connaissances. Même si nous pouvions d’une manière ou d’une autre persuader les élèves à apprendre les choses auxquelles nous (nous qui sommes infiniment sages) accordons de la valeur, la notion de persuasion en elle-même sous-entend qu’il y a dépendance et donc elle est en contradiction avec ce que nous considérons être la finalité de l’éducation.
En définitive, pour réussir sur le plan matériel, psychologique et spirituel, il est nécessaire de prendre sa propre vie en main, d’avancer avec confiance en soi et de s’exprimer avec conviction. L’école offre surtout et avant tout une opportunité de maîtriser cet ensemble infiniment précieux de “compétences de bases”.

3. Les enfants n’en ont rien à faire du futur

La plupart de nos élèves ne sont pas intéressés par la préparation de leur vie d’adulte ; Ils veulent commencer à vivre leur vie tout de suite, et la kiffer mec ! Parfois cela veut dire apprendre de manière scolaire mais la plupart du temps ce n’est pas le cas. Dans tous les cas, bravo à eux ! En fait, le développement sain des enfants est enraciné dans le plaisir et l’appréciation qu’ils ont de l’expérience d’être vivants. Quand les enfants s’occupent du présent, et c’est tout ce qu’on leur demande, le futur prend soin de lui-même.

Le modèle scolaire traditionnel pose comme principe une sorte d’objectif qui fait rêver, situé quelque part dans le futur. Quand on arrive à destination cependant, l’objectif est toujours différé. L’école, puis l’université, puis (souvent) un enchaînement d’emplois ennuyeux et l’accumulation de choses – et de dettes – toujours plus en avant, (apparemment) vers cet endroit où l’on pourra se reposer, se relaxer, être satisfait et vivre une belle vie. Nous passons une si grande partie de notre enfance à nous préparer pour le futur qu’il est difficile de changer de vitesse et d’apprécier nos vies maintenant. Ce n’est pas un argument hédoniste mais un argument pour aider les enfants à garder leur capacité à être dans le moment présent.

L’idée de notre programme n’est pas de remplir les mêmes objectifs que l’école traditionnelle, ou de mieux les remplir, ou de le faire mais sans causer les dégâts (étrangement omniprésents) habituellement attribués au système traditionnel. L’idée est que les objectifs qu’elle remplit sont différents, plus sincères, plus précieux. Au risque d’avoir l’air d’un candidat électoral bien portant et calculateur, je dirais qu’elle fait vivre le plus beau rêve de notre magnifique république : que les gens devraient pouvoir choisir leurs propres valeurs et les vivre comme ils l’entendent. Au risque de faire écho à Eckhart Tolle, je dirais qu’elle fait la promotion du “vivre le moment présent” (en permettant aux enfants, qui le font si bien, de continuer à le faire). Au risque de faire écho à John Dewey, je dirais qu’elle permet aux élèves d’apprendre à vivre leur vie plutôt que de (simplement) gagner leur vie. Mais, fière de faire écho à un gros fainéant, je dirais que ce qu’elle fait vraiment, c’est de ne rien faire. Elle existe, tout simplement, protégeant ainsi le droit des enfants à simplement être des enfants. Cela est inévitablement décevant pour l’interventionniste enthousiaste en chacun de nous, et ça peut jouer avec les limites de notre patience, mais bon, on s’en sort 🙂

*Regent Examinations : examen de niveau lycée dans l’état de New York. Les élèves doivent obtenir une certaine quantité de crédits tout au long de l’année lors de ces examens afin de pouvoir valider leur diplôme de fin de scolarité.

**Roald Dahl est un écrivain, noveliste et scénariste Gallois dont l’oeuvre la plus connue est ‘Charlie et la Chocolaterie’.