Retour sur une fenêtre de vie avec Bernard Collot

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Une conférence

Quand on démarre un projet d’école démocratique, le conseil que l’on a reçu et que j’aurais envie de passer c’est : communiquer. Depuis février nous communiquons par nos réunions publiques tous les quinze jours, par nos newsletters, notre site internet… Nous parlons du projet à tous ceux qui veulent l’entendre afin de voir si cela résonne, de planter des graines pour trouver nos locaux, trouver les bonnes personnes, faire découvrir l’école démocratique à nos futurs élèves et à leurs parents. Dans cette optique, nous avons eu envie d’inviter Bernard Collot à partager son expérience avec nous. Afin que tout le monde sache que c’est possible de faire confiance aux enfants même au sein de l’Éducation Nationale. Afin de redonner confiance aux enseignants, aux parents, aux enfants…

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Portrait

Bernard Collot a été instituteur à l’Éducation Nationale pendant 40 ans à Moussavac/Vienne. Petit à petit et sans présupposé idéologique, il a laissé se développer la pédagogie Freinet jusqu’à l’extrême dans un contexte multi-âges ce qui a abouti en ce qu’il a appelé une « école du 3è type”. Alors que nous partons de l’idéologie pour préparer le terrain, Bernard Collot a fait l’inverse : en partant de l’expérience, de sa classe, il a petit à petit enlevé estrade, exercices, cours, … jusqu’à ne laisser aucune contrainte qui aurait pu détourner les enfants de leurs apprentissages naturels. De son école basée sur l’hétérogénéité, la communication, l’aménagement de l’espace, l’auto-structuration, il a ensuite été amené à se demander comment tout cela tenait la route, à théoriser sur les pratiques, leurs conséquences et leur généralisation.

Son école « sans cahier, sans leçon, sans programme, sans évaluation, sans horaire, sans emploi du temps, ouverte aux enfants et aux adultes même pendant les vacances » ressemble fortement à ce qu’on pourrait appeler L’école démocratique, bien que les âges restent ceux du primaire alors que dans les écoles démocratiques, ils s’étalent jusqu’à la fin de la scolarité du second degré 19 ans.

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L’école du 3è type

Voici la définition des types d’écoles de Bernard Collot tirée de son blog (Décembre 1992) :

« On pourrait considérer que l’école, avec ses niveaux les plus homogènes possibles, ses rangées d’élèves, avec un maître maîtrisant emploi du temps et progressions des notions à faire acquérir, progression des “exercices” destinés à faire acquérir ces notions, avec des élèves exécutant le plus exactement possible des consignes pour obtenir des résultats parfaitement prévus  , on pourrait considérer que cette école était celle du 1er type. 

L’école du second type serait celle de l’école des méthodes dites actives. Les élèves y sont moins passifs, le maître fait appel à leur motivation, au jeu, cherche par tous les moyens à rattacher son enseignement à la réalité. Les emplois du temps y sont plus souples, la progression des notions à faire acquérir devient moins linéaire ou plus relative. On parle de plus en plus de “compétences transversales”. Mais, l’enseignant reste l’ordonnateur de la classe, le distributeur des activités. C’est lui le véritable acteur.

Les objectifs qui motivent ou permettent l’activité sont les siens, c’est-à-dire ceux de l’institution. Les évaluations vérifient si les objectifs de l’institution sont atteints de façon collective. L’arrière-pensée de l’activité reste toujours celle d’objectifs qui n’appartiennent pas aux enfants.

Dans l’école de 3è type, c’est la présence des enfants dans un groupe et dans un environnement réels qui entraîne les processus d’apprentissages et la construction des langages. Ce n’est plus l’enseignant qui, par un savoir où des actions pédagogiques, déclenche les processus d’apprentissage. Le pouvoir de la construction des savoirs comme des connaissances appartient à l’environnement, au groupe (enfants, professionnels et parents) et à l’enfant. L’activité respecte les objectifs de l’enfant ou du groupe au fur et à mesure que celui-ci existe, quels que soient ces objectifs qui ne sont jamais ceux de l’institution. Celle-ci accepte que la finalité de l’école est bien de permettre la construction des personnes, des langages, des citoyens. La conception de l’école devient radicalement différente.  »

La conférence – ce que j’en retiens

Bernard parcourt la France entière depuis son lointain village afin que tout le monde sache que c’est possible, afin passer un message : les enfants n’ont pas besoin d’autre chose pour apprendre que de vivre. Lui n’était là qu’en observateur, ou presque. Son école faisait partie de la vie du village. Les anciens élèves ou les adultes pouvaient d’ailleurs en sortir ou y rentrer quand ils voulaient car elle était en permanence ouverte, comme un lieu de vie. Les élèves eux étaient tenus de rester dans l’école jusqu’à 16h30 par rapport aux parents et aux heures “classiques” d’une école. En réalité, rare étaient ceux qui ne s’y sentaient pas bien. Les élèves pouvaient rester de 7h du matin à tard le soir. L’école a très vite rejailli sur tout le village, et les corps de métiers. Le maire a créé deux postes d’ATSEM pour pouvoir pallier à ce besoin, à cette envie des élèves d’être à l’école. Les élèves accueillaient eux-même les adultes qui venaient à l’école.

Dans l’école de Bernard Collot, les relations ont démarré à partir d’une autorité verticale. Même si elles ont évolué rapidement pour laisser la place à l’harmonie, c’est peut être le fait que Bernard a gardé son positionnement référent de “maître” qui a fait qu’ils n’ont pas eu besoin de mettre en place une structure de régulation des relations similaire au conseil de justice des écoles Sudbury. Pour Bernard, en particulier dans sa classe de primaire multi-âge, l’adulte ne peut pas être l’égal de l’élève. Il restait identifié comme la personne ressource et décisionnaire en cas de problème, une personnes “recours”. Cependant, rares étaient les problèmes rencontrés car les élèves cherchaient rapidement des solutions ensemble.

Les enfants (comme les adultes finalement) ont besoin de reconnaissance. Lorsque la relation est brisée avec un autre individu, ils vont naturellement chercher à rétablir le lien et sortir du conflit. Lors des réunions informelles de sa classe, il n’y avait pas de vote qui aurait pu stigmatiser une minorité mais ils cherchaient le consensus autant que possible. À l’Atelier des Possibles, nous souhaitons privilégier les échanges pour arriver à un consentement mais permettrons le passage à une prise de décision par un vote en deux tours.

Assez rapidement, le fonctionnement de la classe a été si fluide qu’il n’y avait même pas besoin de règles, ou alors seulement de règles faisant référence à la sécurité de chacun. L’adulte s’efface de plus en plus car l’adulte c’est le recours. Il fait autorité même s’il n’a pas de pouvoir d’autorité.

Cet aspect diffère de ce que nous imaginons mettre en place au sein de l’Atelier des Possibles. En effet, il est important pour l’équipe qui crée l’école démocratique, que l’enfant soit placé au même niveau que l’adulte. L’égalité entre les individus ne relève pas de leurs compétences (comme l’expérience de l’adulte, ou la maîtrise du langage, ou d’une technique particulière) mais est pour nous un droit. Ainsi nous souhaitons permettre à l’adulte de se détacher de son autorité arbitraire et rendre aux enfants leur responsabilité. Le cercle restauratif sera pour nous l’entité référente pour chaque membre qui pourra y trouver une garantie de sa liberté et de sa sécurité. Loin d’être un espace de jugement ou de punition, il sera l’espace d’échange sécuritaire, où chacun trouvera place à sa liberté d’expression et soutien. Un espace bienveillant qui permettra à chacun d’apporter réparation à une situation qui n’est pas allée dans le sens de la préservation des règles de vie en communauté de l’école.

Que dire aux enseignants aujourd’hui en fonction dans les écoles primaires ? Même si le nombre de classes de plusieurs niveaux est très faible, les enseignants peuvent toujours essayer de se rapprocher le plus possible de la pédagogie Freinet. Le plus facile serait que les équipes pédagogiques puissent être formées en fonction des choix des enseignants afin que les établissements qui souhaitent mettre en place ces pédagogies différentes (ou libres comme ce qu’à vécu Bernard) et du multi-âge puissent le faire et se soutenir entre eux.

De plus, la tâche sera difficile même pour les plus audacieux vu le morcellement des savoirs choisis par les hauts fonctionnaires pour les programmes pédagogiques… Dans les classes classiques, “apprendre la lecture, c’est un peu comme si on allait dans le désert pour apprendre à nager sur un tabouret” dixit Bernard Samedi… car les élèves ne sont pas dans un environnement où tout le monde lit en permanence, alors que dans l’Ecole démocratique les facilitateurs, enfants, adolescents lisent, remplissent des documents… au long de la journée.

Et face à l’inspecteur, comment faire ? Les inspecteurs que Bernard Collot a pu rencontrer ont toujours été intrigués et surpris par ce qu’il se passait dans cette école du 3e type. Cependant, au vu de tous les apprentissages qui étaient réalisés par les élèves, ils n’ont pu qu’attester du bon déroulement de l’instruction, même si aucun cahier n’était utilisé.

Les enfants de la classe de Bernard Collot n’étaient pas en décalage arrivés au collège. Au contraire ! Il n’y a pas eu de soucis d’adaptation liés au mode de fonctionnement différent ou aux programmes qu’ils n’ont pas suivi tels quels en primaire (mis à part le terme “Complément d’objet direct” qu’ils ne connaissaient pas alors qu’ils en avaient acquis le principe. Il a suffi d’une explication rapide avant la rentrée pour résoudre ce très léger différent !). Les enseignants de collège ont toujours été agréablement surpris et ne voyaient pas de différences entre les élèves issus de l’école du 3e type et les autres si ce n’est qu’ils s’exprimaient plus en classe comme des adultes que les autres élèves. Personne n’a jamais remarqué qu’ils n’avaient eu aucune leçon d’Histoire formelle ! “Et les autres ? Qu’est ce qu’ils savaient ?” Ils s’adaptaient, acceptaient les absurdités imposées par le collège et se conformaient une fois retournés dans cette structure si rigide et contraignante… La différence avec les autres élèves résidait surtout dans leur état de conscience face à tout ce qui leur étaient imposé de façon trop rigide, limitant leur autonomie ou leur initiatives, ou d’autres dysfonctionnements qui peuvent être vécus au sein d’une structure comme un collège classique. Voila ce que disaient les professeurs du collège : “Tes mômes, ils répondent comme si c’était des adultes Bernard. Et on ne peut rien faire parce qu’en plus ils sont polis.” Ces enfants du “3è type” étaient autonomes, et se régalaient enfin au lycée lorsqu’ils avaient l’opportunité d’approfondir les sujets qui les intéressaient et mettre en application au quotidien leur facilité à pouvoir travailler en autonomie.

“Mais qu’est-ce qu’un enfant finalement par rapport à un adulte ? Un enfant c’est quelqu’un qui crée, qui ose tout, qui n’arrête pas de chercher, qui questionne… Au fur et à mesure que le temps et la société passent sur l’enfant, cet état disparaît petit à petit jusqu’à ne laisser que des adultes…” Une invitation à retrouver notre curiosité d’enfant ?

Une belle rencontre pour découvrir une charmante personne qui donne autour de lui sans compter. Une expérience pleine de richesse et inspirante à la veille d’ouvrir nous aussi notre classe multi-âges et notre école démocratique. Notre fonctionnement ne sera pas exactement celui qu’à pu vivre Bernard car chaque équipe et école se crée sa dynamique. Cependant la spontanéité des apprentissages autonomes sera notre dénominateur commun pour le plus grand plaisir des membres de l’Atelier des Possibles.

Merci à tous et à chacun pour l’organisation et la réussite de ce bel évènement !

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