Rêver avec Sophie Rabhi-Bouquet

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Une invitation

 

En ce beau mois d’octobre 2017, il y avait un événement à ne pas rater dans le pays Voironnais. Le vendredi 27 au soir, the place to be était bien la salle des fêtes de Moirans. L’Atelier des Possibles vous a proposé une soirée enflammée sur le thème de : l’enfance !

Tous les ingrédients étaient réunis pour se questionner, échanger et s’ouvrir au sujet apporté par Sophie Rabhi-Bouquet :

“Notre regard sur l’enfant, un enjeu pour notre société !”

Il y avait un buffet sans précédent, allant de la crêpe à la pizza maison en passant par les gâteaux et les tartes adaptés à tous régimes alimentaires confondus, du jus de fruit, des infusions et même… de l’eau (production locale) ! 😀

Il y avait des livres, des livres et encore des livres à disposition, du genre de ceux dans lesquels une fois votre nez mis dedans, il est difficile d’en sortir…

Mais aussi et surtout un auditoire multi-âge au rendez vous (et oui, la salle n’était pas pleine, mais quasi !) venu passionnément de contrées aussi lointaines que la Suisse !

Une rencontre

Une fois tout le monde arrivé et restauré, les lumières se sont éteintes et le rêve a pu commencé. Oui, le rêve ! Sophie Rabhi-Bouquet nous a fait rêver, en tout cas, elle m’a fait rêver… sur l’enfance, sur son parcours et les rencontres qui l’ont amenées à créer une école, sur des prises de conscience personnelles qui l’ont amenées à se questionner sur l’enfance et sur l’impact que celle-ci a sur la société.

“Je fais un gros travail de déconditionnement pour accompagner mes enfants

en répondant pleinement à leurs besoins d’humain.”

Sophie nous a parlé de son enfance à elle, à la ferme d’accueil créée par ses parents… De comment accoucher de son premier enfant est venu chambouler sa vision sur l’enfance. Bref, en une heure et demie (plus une heure de questions/réponses), elle nous a fait voyager de la banlieue parisienne à l’école des enfants qu’elle a créée en Ardèche en passant par l’Afrique noire.

Aujourd’hui Sophie Rabhi-Bouquet est membre créatrice de La ferme des enfants, qui a ouvert en 1999 et est en constante évolution. D’abord une école dite “Montessori”, elle est devenue un lieu de vie organisé démocratiquement où les enfants ont l’espace de faire leurs apprentissages autonomes dans un cadre multi-générationnel bienveillant. Pas des enfants ni des élèves, mais des citoyens. On ne prend pas les décisions à la majorité mais à objection zéro. Bref, le rêve!

 

Du rêve

A chacun.e son parcours, à chacun.e son écoute. A chacun.e sa manière d’entendre un discours, selon sa disponibilité intellectuelle et émotionnelle du moment. J’avais pour ma part déjà assisté à une conférence de Sophie Rabhi-Bouquet, il y a quelques mois seulement. Et cette fois-ci j’ai entendu des choses que je n’avais pas entendues la première fois, car mon oreille n’était pas la même.

Cette fois-ci, c’est sur la problématique suivante qu’elle m’a fait rêver, je cite :

“La violence que nous pouvons déplorer collectivement n’est pas quelque chose d’inné, ce n’est pas une fatalité, ce n’est pas la nature humaine, mais c’est une conséquence d’un accompagnement. On est dans un environnement qui culturellement cultive la violence, soigneusement, suffisamment profondément pour que ça vienne toucher la plupart de nos actes en tant que parent et éducateur. Nous sommes conditionnés à la violence.”

La question de la “violence éducative ordinaire” semble omniprésente dans la quête de Sophie Rabhi-Bouquet. Et pour cause ! Nous en sommes tous et toutes victimes à des niveaux plus ou moins traumatisants dans notre vie. En tant qu’enfant, qui ne s’est jamais retrouvé forcé de manger un aliment qui le répugnait au plus haut point ? Qui n’a jamais subi du chantage affectif ? Qui ne s’est jamais trouvé contraint d’interrompre un jeu, un apprentissage, une expérience pour la simple “bonne” raison que “ça fait du bruit, c’est énervant” ?

Les pédagogues, chercheurs, historiens le disent : l’école ou l’éducation scolaire de masse telle que nous la connaissons n’a même pas un siècle et demi ! C’est tout nouveau dans l’histoire de l’humanité. Et pourtant, aujourd’hui, il nous parait normal d’imposer notre mode de pensée, de fonctionnement, un rythme normalisé d’apprentissage, un rythme biologique (la faim, le sommeil…) à nos enfants.

“Nous pensons depuis la nuit des temps que l’enfant nous appartient et que l’on peut le dominer. C’est une petite personne (…) sur laquelle nous pouvons avoir un gros ascendant. C’est ce que l’on appelle l’éducation.”

C’est ça, la violence éducative ordinaire.

Sophie a pris un exemple très marquant : le procès de Nuremberg. Les dirigeants nazis qui ont permis à la folie hitlérienne de se répandre étaient tous des hommes ayant eu une éducation et ayant fait de hautes études. Et pourtant, ils sont devenus Nazis.

Lors du procès, lorsqu’il leur a été posée la question suivante : “Mais vraiment ? Pourquoi avez vous fait cela ?” la plupart ont répondu : “Parce que c’était les ordres”.

“Le devoir d’obéissance peut altérer nos compétences sociales émotionnelles et affectives.”

“Notre problème planétaire est émotionnel. Nous sommes sur une planète handicapée au niveau émotionnel.”

Une “bonne” éducation culturelle et intellectuelle ne vaut rien si elle n’est pas accompagnée, voire précédée d’un environnement émotionnel bienveillant et respectueux de l’individu dans son individualité.

Promis, il s’agit d’un rêve, pas d’un cauchemar.

Oui, nous avons un problème émotionnel planétaire. Nous sommes conditionnés par les générations précédentes dans un cercle vicieux de reproduction culturelle. Mais des personnes comme Sophie Rabhi-Bouquet viennent nous montrer que l’alternative à la construction normative est possible. Elle nous a parlé de nos guides : ces personnes que l’on rencontre, bien souvent à travers un écrit, qui nous allument l’étincelle de lumière et nous permettent d’apprécier la réalité avec un œil nouveau. Elle nous a parlé pour elle (dans le désordre) de Alice Miller, Jiddu Krishnamurti, Frédérick Leboyer, Aletha Solter… j’en oublie sûrement.

Je n’ai pu m’empêcher de voir à travers les lignes à quel point le discours de Sophie Rabhi-Bouquet avait des couleurs Jungiennes. Elle nous a parlé de nécessité de déconditionnement, de l’importance de l’accompagnement et de l’environnement de l’enfant dans ses apprentissages. C. G. Jung parle des mêmes problématiques, avec d’autres mots : il parle de la nécessité de se différencier de la matrice dans laquelle on naît afin de ne pas être dans la reproduction culturelle et émotionnelle. Il parle, d’une certaine manière, de la différenciation comme d’une seconde naissance (naissance dans le sens “prise de conscience d’un monde autre que celui connu jusqu’à présent”). D’une certaine manière, il me parait que la question de la différenciation est chez Jung ce que le déconditionnement est chez Sophie Rabhi-Bouquet.

Quel beau rêve de voir que le 20ème siècle fut si riche de personnes qui, chacun.e avec ses mots, à partir de leurs expériences et dans leur environnement culturel, ont individuellement contribué à faire évoluer la pensée collective et que, oh magie, sans se concerter, sans comploter, finissent par dire la même chose, chacun.e avec ses mots, adaptés à ses domaines d’expertise. Mais au final, les constats sont LES MÊMES !

Alors continuons à nous informer, à lire, écouter des Sophie Rabhi, des Alice Miller, des Jiddu Krishnamurti, des Peter Gray et rêvons !

Et le rêve commence en cherchant à “entendre le cri de l’enfant chez chacun de nous”. Et ensuite, à y remédier, pour les générations futures.

Bibliographie

  • C’est pour ton bien,  Alice Miller.
  • Pleurs et colères des enfants et des bébés, comprendre et répondre aux émotions de son enfant, Aletha Solter.
  • Jiddu Krishnamurti (ailleurs, Pierre Rabhi citait “Se libérer du connu“)
  • Pour une naissance sans violence, Frédérick Leboyer
  • La Ferme des Enfants, Sophie Rabhi
  • Libre pour apprendre, Peter gray
  • Libres enfants de Summerhill, A.S. Neil
  • Les apprentissages autonomes, John Holt
  • La fin de l’éducation ? Commencements, Jean-Pierre Lepri
  • Apprendre par soi-même avec les autres dans le monde, l’expérience du unschooling, Mélissa Plavis
  • Jouer, Faisons confiance à nos enfants, André Stern
  • L’école de la liberté, un modèle d’éducation autonome et démocratique, Daniel Greeberg
  • La biologie des croyances, Bruce H. Lipton
  • et bien d’autres encore…

 

Péle-Mèle de souvenirs